2018

« Être là »

Le processus, dans mon travail, est toujours le même : puiser un motif dans l’infinité des motifs offerts par la nature, l’observer, le dessiner, le répéter, le transformer. Et habiter, voire envahir, un espace avec.

Dans une sobriété de moyens : des feutres à encre noire, des petits carnets de papier recyclé, des épingles entomologiques. Des chutes de lin ou de coton. Du fusain, un peu de peinture et un pinceau. Le tout tient dans la poche ou un petit sac. Être mobile et légère, pour aller là.

Dans mes travaux récents, je choisis d’ancrer ma recherche plastique dans des territoires, une géographie : mon motif est issu de l’observation de cartes du tracé de fleuves, des lignes topographiques d’une région. Être là.

Mais le motif répété inlassablement finit par évoquer d’autres objets, des vagues, des tubes digestifs, du bois noueux, des vaisseaux sanguins etc. Et renvoient au vocabulaire plastique de mes précédentes séries.

Le motif initial pourrait tout aussi bien être issu de cartographies d’ailleurs. Ça n’a pas d’importance, il est prétexte à faire, à laisser une trace, à envahir. Et faire, laisser une trace, c’est être là.

Accumuler de l’inutile, des petits bouts de papiers griffonnés comme des trésors, suspendus au mur par des épingles. Une collection de petits objets précieux.

Les dessins volent légèrement lors du passage des visiteurs, ou sous l’effet d’un courant d’air. Des petites choses sensibles. On est là.

Je privilégie des réalisations in situ, qui peuvent être monumentales, envahissant un mur ou plusieurs, dans une sobriété de moyens. Le fusain produit de la poudre au sol par le frottement de la matière sur la surface. Laisser les traces que les visiteurs pourraient provoquer en marchant dessus. L’œuvre est éphémère, elle disparaît une fois l’exposition terminée, mais elle est témoin que j’étais là. Et les visiteurs qui en gardent le souvenir et des traces de fusain sous leurs semelles, étaient là.

Cette recherche pour questionner notre rapport au temps, au monde. La trace que l’on y laisse. Dans un monde où priment souvent le spectaculaire, la rentabilité, l’efficacité, la multitude d’écrans, la technologie, la vitesse ; tenter de rester sobre, humble, retrouver de la lenteur. Tenter de faire et de résister dans la délicatesse. Assumer de ne pas être ambitieux. Et poursuivre.

Mon travail, c’est ce truc de n’être pas grand-chose dans l’univers infini, mais d’être là. De faire. Simplement, sobrement. Cesser de vouloir toujours plus. Retrouver une place mesurée, modeste.

Ce truc de porter attention aux petites choses. Le dessin sur un petit bout de papier comme un trésor.

Choisir des motifs issus de la nature. Être fascinée par la résonnance entre eux. Les méandres des rivières comme des vaisseaux sanguins comme des branchages comme des racines. Des plumes comme des écailles comme des dunes. La structure des molécules comme des constellations comme des cellules. Du bois noueux comme des muscles comme des intestins.

Faire partie de cette nature, être là.

Vues d’expositions

(La tectonique des plaques, avec Nathalie Borowski / Repetition as originality / Parcours d’Artistes)