2025

Les Vagabondes

Je vis dans la vallée de la Seine depuis plus de dix ans. J’y vis et je l’habite, sillonnant le fleuve en aviron, parcourant ses berges à vélo, traversant ses paysages, depuis les Andelys où je réside, en train ou en voiture, pour rejoindre Vernon, Aubevoye, Rouen, Le Havre, Paris…

Depuis que je me suis installée dans une ville à la campagne, je m’émerveille de chaque plante qui éclôt, selon les saisons, vivant plus intensément leur cycle. Les sujets touchant à l’écologie, les écosystèmes et les égards au vivant sont au centre de mes préoccupations, de mon quotidien et imprègnent mon travail plastique.

Dans la série Les Vagabondes, née de la lecture d’Éloge des vagabondes du paysagiste-philosophe Gilles Clément, j’observe les plantes voyageuses, sauvages qui envahissent les friches, les bords des trottoirs et les coins de murs de nos bâtisses.

Au fil de mes déambulations et du temps passé à dessiner dans l’atelier, je me questionne sur ce qui s’installe, pousse et vit au milieu du bâti, dans les interstices, là où on ne s’y attend pas, la plupart du temps végétation indésirable, que les services municipaux tentent d’éliminer.

J’arpente la ville et collecte ces plantes rudérales, qui poussent spontanément dans des endroits improbables – magie de leur instinct de vie : quelques millimètres entre le bitume, le béton, la pierre et la brique.

Ces plantes, migrantes, libres, deviennent des « bouquets-trottoirs » que je photographie.

J’en fais ensuite l’inventaire, puis broie et presse les bouquets pour en récupérer les pigments, avec lesquels je teinte mes papiers.

Je dessine à l’encre, petit point par petit point, des fragments de chacune de ces plantes, créant des planches botaniques, qui retracent mes observations et les rues que j’ai empruntées.

La série de dessins dresse donc un herbier imparfait, une cartographie poétique en creux des architectures citadines, une empreinte de ce qui a poussé dans leurs interstices.

J’aime dessiner sur des papiers donnés, évoquant ainsi l’idée de partage, et appuyant mon propos sur l’écologie par la réutilisation de matériaux et la récupération.

Je choisis le dessin au petit point pour éprouver la lenteur de la pousse des plantes, la lenteur qu’il nous faudrait retrouver pour être en harmonie avec les forces du vivant que nous avons, au rythme effréné de nos technologies, négligées et qui nous rattrapent et bouleversent le climat et nos modes d’habiter, de s’alimenter, de se projeter.

Les Vagabondes, Bouquets-trottoirs (collecte 1 : rue de la Libération, rue du Maréchal Leclerc, Les Andelys, collecte 2 : rue Gilles Nicolle, rue de la Gabelle, rue du Maréchal Leclerc, Les Andelys, collecte 3 : passage Meurdrac, Les Andelys), photographies et papiers teintés avec les pigments des bouquets, 18×13 cm, détails.

Les Vagabondes, Herbier des interstices (coquelicot blanc, coronille, chélidoine, frêne, cerisier, lierre, laitue vireuse, pissenlit, porcelle enracinée, plantain lancéolé, berce, verge d’or, clématite, arbre à papillons, trèfle, coquelicot, grand plantain), encre sur papiers donnés, 18×12,4 cm.